Traduire les principes équitables en pratiques de financement transformatives
Leçons sur l'octroi de subventions intermédiaires dans le domaine de la santé et des droits sexuels et reproductifs
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En 2016, la Fondation Hewlett a lancé une sous-stratégie visant à soutenir un secteur de la société civile dynamique en Afrique, capable d’influencer de manière captivante et positive les politiques de planification familiale et de santé reproductive et les décisions de financement des gouvernements nationaux et des donateurs internationaux. La stratégie a cherché à s’attaquer à plusieurs contraintes dans les modèles de renforcement des capacités de plaidoyer en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs (SDSR). Il s’agit notamment de l’accent mis sur le financement à court terme et par projet, des objectifs trop étroits en matière de plaidoyer et de l’assistance technique mal adaptée. Ces contraintes ont été identifiées comme des sous-produits des déséquilibres de pouvoir et de ressources entre les bailleurs de fonds et les organisations de la société civile (OSC) dans le Sud.
Les investissements réalisés dans le cadre de cette stratégie l’ont été principalement par le biais d’un modèle de subventionnement intermédiaire dans lequel les organisations non gouvernementales internationales (ONGI) ont redistribué des subventions et fourni un soutien en termes de capacités à leurs OSC partenaires en Afrique de l’Est et de l’Ouest. Un élément clé de la stratégie était de centrer une approche basée sur des principes pour les partenariats entre la fondation, les ONGI et les OSC. Ces principes étaient les suivants :
- Soutenir les priorités locales de plaidoyer.
- Fournir une assistance technique pratique et durable adaptée à chaque organisation.
- Soutenir les partenariats de plaidoyer à long terme.
- Encourager la responsabilité mutuelle entre tous les acteurs.
- Mesurer les progrès, partager les enseignements et s’adapter.
Parallèlement à cette sous-stratégie, nous avons commandé une évaluation développementale et évoluant, dirigée par le Programme d’Evaluation et Planification (APEP) de l’Institut Aspen afin de déterminer si cette approche fondée sur des principes pour renforcer le secteur des OSC de santé sexuelle et reproductive en Afrique était efficace pour atteindre nos résultats à court terme. Il était tout aussi important de comprendre plus en profondeur les questions complexes au cœur du modèle de financement, à savoir les hypothèses sur le renforcement des capacités dans ces partenariats et la pratique de la responsabilité mutuelle et du transfert de pouvoir dans l’octroi de subventions. Ce mois-ci, l’APEP a publié le rapport final de cette évaluation quinquennale, ainsi que des fiches pratiques à l’intention des bailleurs de fonds et des intermédiaires qui octroient des subventions. Ces publications explorent le transfert de pouvoir et les partenariats équitables. Afin d’informer l’évaluation, l’APEP a réalisé un « context review » qui illumine des tendances dans le domaine plus large de la philanthropie et du développement international dans lequel la stratégie s’inscrit et a produit des guides de discussion sur ces tendances.
Vous trouverez ci-dessous les principales leçons tirées de l’engagement profond de la fondation dans le développement, le financement, l’influence et l’évaluation de cette stratégie avec des partenaires, ainsi que la manière dont ces leçons informent notre Stratégie d’Equité Reproductive Mondiale et notre réflexion sur la promotion de partenariats équitables dans nos subventions à travers le Programme d’Equité de Genre et de Gouvernance.
Donner la priorité à une communication transparente
J’ai rejoint la fondation un an après l’élaboration et le financement de la stratégie. Dans le cadre de mon intégration, j’ai voyagé à travers l’Afrique pour rencontrer des OSC soutenues par nos subventions intermédiaires afin d’en savoir plus sur leur travail. J’ai rapidement découvert que seules quelques OSC connaissaient la sous-stratégie et l’intention de la fondation de leur confier la prise de décision et le financement. Cette lacune en matière de communication était importante, car l’évaluation visait à déterminer comment l’approche d’octroi de subventions fondée sur des principes contribuait à renforcer la capacité des OSC à plaider efficacement en faveur des DSSR.
Pour accroître la transparence, nous avons organisé une série de webinaires en anglais et en français afin de partager l’objectif de la stratégie et ses résultats escomptés avec les bénéficiaires intermédiaires et les sous-titulaires des OSC, tout en permettant aux sous-titulaires d’interagir directement avec la fondation. Nous avons également demandé à nos ONGI partenaires de discuter de leur rôle d’intermédiaires dans cet écosystème de financement et de la manière dont elles s’efforcent de favoriser des partenariats plus équitables et une responsabilité mutuelle avec les OSC africaines. Le rôle des ONGI dans le secteur du développement a été un sujet brûlant ces dernières années. La fondation continue de soutenir les efforts des ONGI pour faire évoluer leurs pratiques de partenariat et a réfléchi en profondeur à ces débats.
Reconnaitre des inégalités de pouvoir
Au cours de l’évaluation, nous avons appris que le principe relatif à l’encouragement de la responsabilité mutuelle entre la fondation, les bénéficiaires ONGI intermédiaires et les OSC africaines n’était pas bien compris. De plus, il était difficile d’évaluer son application pratique. Cet apprentissage nous a conduits à repenser nos résultats à court terme et à déclarer explicitement que la stratégie visait à transférer le pouvoir de décision et le financement aux OSC africaines. Nous avons dû désigner directement le “transfert de pouvoir” comme un résultat et une forme tangible de responsabilité mutuelle.
Avec ce changement de cadre, l’équipe de l’APEP a approfondi son exploration de la manière dont la dynamique du pouvoir se manifeste dans le financement et la prise de décision au sein des relations intermédiaires d’octroi de subventions. Au fil du temps, les résultats ont montré que la plupart des OSC avaient plus de pouvoir pour déterminer les priorités et les stratégies de plaidoyer en matière de santé sexuelle et reproductive, mais un pouvoir limité sur les allocations de fonds, souvent en raison d’un manque de transparence et d’équité budgétaire. L’équipe de l’APEP a partagé ces résultats sur le financement et le pouvoir avec les acteurs du plaidoyer de toute la région africaine lors d’un séminaire en ligne l’année dernière. Le rapport d’évaluation final propose des recommandations pratiques aux bailleurs de fonds, aux intermédiaires et aux OSC bénéficiaires de subventions pour faciliter le transfert de pouvoir et le renforcement des capacités.
Créer des espaces d’apprentissage inclusifs
Dès le début, la fondation a cherché à réunir les partenaires bénéficiaires comme partie intégrante de la mise en œuvre et de l’évaluation de la stratégie. En 2017, la réunion était destinée aux partenaires bénéficiaires pour établir un ensemble commun d’indicateurs de résultats avec l’APEP. À mi-parcours de l’évaluation, nous avons appris que les réunions pouvaient servir d’espace essentiel pour un apprentissage partagé entre les OSC africaines, les ONGI intermédiaires et la fondation. En 2018, nous avons organisé un rassemblement incluant tous les acteurs et fourni des services d’interprétation pour permettre des conversations ouvertes qui ont initialement fait surface la question de la transparence budgétaire comme reflet de partenariats équitables. En 2019, nos partenaires de Niyel ont facilité un rassemblement pour plonger plus profondément dans les dynamiques de pouvoir entre les bailleurs de fonds, les ONGI et les OSC africaines et l’impact des inégalités de pouvoir sur le renforcement des capacités.
Nous avons appris que ces types d’espaces d’apprentissage où tous les acteurs parlent franchement des pratiques de partenariat et des principes sur lesquels elles reposent sont rares. Bien que les conversations aient été souvent difficiles et inconfortables, la plupart des OSC africaines et plusieurs ONGI ont apprécié l’opportunité de participer à ces discussions ouvertes. En fin de compte, les réunions ont permis d’instaurer la confiance et une compréhension commune des principes de la stratégie et de travailler de manière inclusive pour identifier des pratiques de financement et de partenariat alignées.
Embrasser la complexité !
En partenariat avec l’APEP et notre responsable de l’évaluation, Amy Arbreton, j’ai continué à m’interroger sur la manière dont nous envisageons et évaluons les progrès réalisés dans le cadre de cette sous-stratégie. Nos questions d’évaluation ont évolué au cours de ce processus d’enquête, et les réponses à ces questions sont devenues plus nuancées. Au fil du temps, nous avons remis en question et dépassé les hypothèses simplistes sur les partenariats de renforcement des capacités comme une approche à sens unique des ONGI vers les OSC et un processus perpétuel sans point final défini. De même, nous avons appris que, même s’il était essentiel de désigner le changement de pouvoir comme un résultat stratégique, la compréhension des multiples dimensions et couches de la façon dont le pouvoir se manifeste dans nos partenariats de financement est un processus continu de découverte des inégalités systémiques dans nos pratiques de financement. Bien que décourageant, nous avons accepté ces complexités et les changements qu’elles ont exigés. Au sein de la fondation, il existe des initiatives complémentaires dans notre travail émergent en matière de philanthropie féministe et dans notre stratégie de conservation de l’Ouest des USA.
Traduire les principes en pratiques de financement
Au cours des cinq dernières années, nous nous sommes engagés à corriger continuellement le cap en écoutant et en apprenant de nos partenaires bénéficiaires et sous-bénéficiaires et de l’équipe de l’APEP au sujet de notre approche de subventionnement intermédiaire basée sur des principes. En réponse à ces leçons apprises, nous avons établi un ensemble de pratiques de financement (qui et comment nous finançons) qui ont été intégrées dans notre nouvelle Stratégie d’Equité Reproductive Mondiale (GRE).
- En 2019, nous avons révisé notre modèle de rapport des bénéficiaires de subventions afin de solliciter des informations plus pertinentes pour évaluer dans quelle mesure ces partenariats de sous-subvention étaient équitables et répondaient aux besoins exprimés par les OSC africaines.
- Pour favoriser la prise de décision inclusive et la transparence budgétaire, nous avons commencé en 2020 à inviter les partenaires sous-titulaires à participer à l’élaboration des propositions et aux conversations sur les rapports avec la fondation. Récemment, nous avons établi des attentes claires concernant les conditions de réattribution des subventions (soutien pluriannuel, soutien de base) et l’équité budgétaire (proportion du financement alloué aux réattributions). Nous nous efforçons également de fournir régulièrement des services d’interprétation afin d’aborder l’équité linguistique.
- Nous avons clarifié le fait que la fondation s’engage à soutenir le renforcement institutionnel des OSC africaines comme étant essentiel pour un changement durable dans la réalisation des droits sexuels et reproductifs dans la région.
- Dans le cadre de l’évaluation et de l’apprentissage de la nouvelle stratégie GRE, nous cherchons à établir des mécanismes de responsabilité clairs pour évaluer nos intentions en matière d’équité. Nous développerons ces mécanismes en partenariat avec les personnes les plus proches des problèmes. En accord avec l’approche basée sur les principes, nous nous tiendrons responsables en nous demandant : “Quels sont les indicateurs de progrès pour les bailleurs de fonds dans la promotion de partenariats équitables ?”
Répondant à l’appel du secteur pour une plus grande responsabilité des bailleurs de fonds, nous avons soutenu l’appel à l’action des New Voices Fellows de l’Institut Aspen pour les meilleures pratiques de financement de la santé sexuelle et reproductive. Les conseils offerts par ces leaders de la santé sexuelle et reproductive sont étroitement alignés avec les principes directeurs de notre fondation et les valeurs qui sous-tendent nos approches évolutives en matière d’octroi de subventions. Nous espérons que d’autres bailleurs de fonds adhéreront à cet appel à l’action. Dans le cadre de la stratégie GRE, nous prévoyons de communiquer plus efficacement notre modèle d’octroi de subventions en constante évolution, tout en continuant à apprendre de nos pairs bailleurs de fonds privés et bilatéraux et en cherchant à les influencer positivement.
L’intégration de l’équité dans les partenariats de financement est un travail difficile, mais il est essentiel pour le changement durable des politiques et des pratiques en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs que le secteur envisage. Et c’est un travail délicat. En tant que bailleur de fonds, je cherche à favoriser des partenariats sains, suffisamment solides pour permettre des conversations franches et des pratiques de financement qui reflètent des principes auxquels nous tenons tous. En mettant en lumière les inégalités de pouvoir et en cherchant à les remédier, nous constatons des changements positifs dans nos partenariats de financement. Je ne parle pas seulement d’un financement plus important et de meilleure qualité et d’un meilleur accès aux décisions pour ceux qui sont les plus proches des problèmes. Je parle de discussions plus transparentes sur les causes profondes et la nécessité de s’attaquer au racisme systémique et aux idées néocoloniales qui sous-tendent les partenariats et les pratiques inéquitables.
Ces leçons clés et ces changements dans les pratiques de financement n’ont été possibles que grâce à la volonté et à la confiance de nos partenaires actuels et précédents, bénéficiaires et sous-bénéficiaires. Au cours des cinq dernières années, ils ont partagé leurs idées et leurs expériences ouvertement et courageusement avec la fondation et l’équipe de l’APEP. Nous leur en sommes très reconnaissants. Nous espérons que l’évaluation offre des informations précieuses aux acteurs de la société civile qui cherchent à construire des partenariats plus équitables et à obtenir les ressources nécessaires pour soutenir un travail important en faveur de la justice sociale. Nous remercions tout particulièrement l’équipe de l’APEP d’avoir suivi ce parcours d’apprentissage avec nous. L’évaluation a influencé nos pratiques de financement tout au long du Programme d’Equité entre les Sexes et de Gouvernance. Elle constitue une contribution importante pour les bailleurs de fonds et les autres parties prenantes qui s’engagent dans des initiatives de subventionnement intermédiaire, de transfert de pouvoir et de localisation.