Utiliser les données probantes pour améliorer la vie des populations en Ouganda

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Une infirmière dispense des soins post-partum dans une clinique en Ouganda. (Crédit photo : Jonathan Torgovnik/Getty Images/Images of Empowerment)

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Pour 100 000 naissances vivantes en Ouganda en 2016, 336 mères ont perdu la vie en raison de complications pendant l’accouchement. L’une des principales causes de ces taux de mortalité ? L’hémorragie du post-partum.

Aujourd’hui, l’Ouganda a réduit de près de moitié son taux de mortalité maternelle. Ces progrès ne sont pas le fruit du hasard. Ils sont le fruit d’une série d’efforts, notamment d’une approche délibérée de l’utilisation d’éléments probants inclusifs – des informations qui reflètent les voix, les préoccupations et les idées des personnes directement concernées – pour élaborer des politiques salvatrices de vies.

Il s’agit là de l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes en action. Lorsque les politiques sont élaborées sur la base de données et d’informations tenant compte du point de vue de tous, en particulier des personnes les plus touchées, les résultats peuvent transformer les sociétés. De la réduction de la mortalité maternelle en Ouganda à la sécurisation d’espaces numériques pour les politiciennes, nous examinons comment deux organisations, le Center for Rapid Evidence and Synthesis  (ACRES) et Pollicy, utilisent des données probantes pour faire progresser l’égalité entre les genres en Ouganda et dans d’autres pays d’Afrique.

Comment ACRES a utilisé des données probantes pour sauver la vie de mères en Ouganda

Le défi

En 2019, en Ouganda, un programme gouvernemental a proposé de distribuer du misoprostol en vente libre dans les Maama Kits, un kit abordable contenant les fournitures de base nécessaires à un accouchement sans risque. L’ajout du misoprostol aux kits permettrait de réduire les hémorragies de post-partum, une cause majeure de mortalité maternelle. Auparavant, le misoprostol ne pouvait être utilisé ou distribué que par une sage-femme agréée, ce qui le mettait hors de portée, en Ouganda, de près de 30 % des mères accouchant à domicile ou en dehors d’établissements médicaux.

Le programme a suscité l’inquiétude de plusieurs parties. Le misoprostol étant utilisé pour provoquer des avortements médicaux en début de grossesse, on craignait que l’augmentation de sa distribution n’augmente le nombre d’avortements illégaux dans le pays. Son rôle dans le déclenchement du travail a également fait craindre qu’il n’encourage davantage d’accouchements en dehors des établissements de santé reconnus. Le médicament pouvant être désormais en outre auto-administré, certaines parties prenantes se sont demandé si les futures mères détenaient les connaissances nécessaires pour utiliser le médicament de manière appropriée. Ces inquiétudes ont fait place à une désinformation croissante et il a été demandé à ACRES d’arbitrer une situation d’impasse dans un district.

L’approche fondée sur des données probantes

ACRES a étudié des programmes similaires de distribution de misoprostol dans le monde entier en tenant compte des valeurs locales. Le Centre pris le temps de comprendre et d’interpréter les normes, les croyances et les dynamiques de pouvoir locales, ce qui lui a permis de réfléchir à l’impact de ce médicament sur les femmes qui en avaient besoin, sur les membres de la communauté au sens large qui y auraient désormais plus facilement accès et sur la mise en œuvre de ces services par le programme gouvernemental.

Une chercheuse associée de l'ACRES présente des données probantes lors d'une table ronde citoyenne au ministère du Genre, du Travail et du Développement social concernant une nouvelle politique de soutien aux soins de santé des femmes. (Crédit photo : ACRES)

ACRES a également collaboré avec les responsables du district pour organiser des réunions et des ateliers sur l’utilisation de données probantes, au cours desquels les parties prenantes ont pu s’interroger sur les résultats et poser des questions, ce qui leur a permis de se sentir impliquées dans les solutions qu’elles recherchaient. Enfin, ACRES a travaillé en étroite collaboration avec les décideurs politiques afin de leur permettre d’avoir un accès opportun à des données précises par l’organisation d’ateliers de sensibilisation, de renforcement des capacités et de programmes de mentorat. Qu’en est-il résulté ? Les décideurs politiques ont eu la possibilité d’écouter ce dont les gens avaient besoin, de disposer des données nécessaires pour explorer les politiques les plus avantageuses dans ce contexte, et d’être en mesure de les mettre correctement en œuvre.

L’impact

Deux ans plus tard, le programme avait été mis en œuvre avec succès. Aujourd’hui, le district pilote enregistre un plus grand nombre d’accouchements dans les établissements de santé et une réduction des décès dus aux hémorragies liées à l’accouchement. Le programme a été étendu à d’autres régions, ce qui a permis d’améliorer les conditions de vie des femmes et des jeunes filles, de leur famille et de leur communauté.

Pourquoi l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes ?

À première vue, l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes peut sembler trop conceptuelle, trop nébuleuse et trop éloignée de notre quotidien. Pourtant, les données probantes devraient éclairer les décisions politiques qui ont un impact sur nos vies. Elles déterminent les médicaments disponibles dans nos cliniques, les manuels scolaires dans les classes de nos enfants, les ressources énergétiques disponibles pour éclairer et faire fonctionner nos maisons, ainsi que les routes et les ponts qui relient nos communautés.

Mais il ne suffit pas de produire davantage de données probantes. Les données probantes doivent refléter les besoins et les perspectives de toutes les parties prenantes susceptibles d’être affectées par une politique donnée – ce que nous appelons des « données probantes inclusives ». Il est essentiel de produire de telles données et de renforcer la capacité des décideurs à les utiliser.

Dans le cadre du programme d’Équité des Genres et Gouvernance de Hewlett, la Stratégie d’élaboration de politiques éclairées par des données probante (Evidence-Informed Policymaking (EIP)) s’interroge constamment sur le rôle que peut jouer l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes dans la promotion de sociétés inclusives et équitables où chacun – en particulier les femmes, les filles et les jeunes – puisse s’épanouir, y compris sur les moyens de rétablir la confiance entre les décideurs politiques et les personnes qu’ils servent au-delà des cycles électoraux et des urnes.

Deux choses ressortent du travail que nous avons accompli à ce jour :

  • Les gens ont un ardent besoin – et désir – d’exercer leur pouvoir pour façonner leur propre avenir.
  • Pour les accompagner dans l’exercice de leur pouvoir, les gouvernements doivent avoir les preuves et la capacité d’écouter et de répondre aux besoins des citoyens.

ACRES suit cette approche dans les politiques de santé, mais les mêmes principes s’appliquent à tous les secteurs. Pollicy démontrent comment l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes a servi à construire, faire progresser et étendre l’égalité entre les genres dans l’espace numérique.

Comment Pollicy a utilisé des données probantes pour sécuriser les espaces numériques pour les femmes

Le défi

L’enquête d’Afrobaromètre en 2023 a révélé que 75 % des citoyens interrogés sur le continent africain estiment que les femmes devraient avoir les mêmes chances que les hommes d’être élues à des fonctions publiques. Mais plus de la moitié d’entre eux ont déclaré qu’une femme qui se présente à une élection risque d’être critiquée ou harcelée.

C’est là qu’intervient Pollicy, un collectif de données afroféministe qui utilise les données, la conception et la technologie pour améliorer la maîtrise des données, l’élaboration de politiques et la fourniture de services par les gouvernements. Le rapport de Pollicy de 2021 avait indiqué qu’une femme sur deux dans la vie publique en Ouganda avait subi des violences basées sur le genre en ligne, bien que le pays dispose d’une loi sur la cybersécurité contre le harcèlement depuis plus de 10 ans. Cette violence comprend, sans s’y limiter, la désinformation, les discours de haine, les abus et le harcèlement.

L’approche fondée sur des données probantes

Sur la base de ses recherches, Pollicy, avec d’autres défenseurs des droits numériques, a établi des liens avec des organisations de la société civile, la Commission électorale ougandaise, des organes parlementaires, tels que l’Association parlementaire des femmes ougandaises (UWOPA), des groupes de femmes et les médias afin de mettre en œuvre les recommandations de son rapport. Au cours des trois dernières années, Pollicy a mis au point une série de formations sur la résilience numérique, notamment son programme phare Digital Safe-tea, un jeu en ligne permettant aux femmes de naviguer sur Internet de manière plus sûre et d’éduquer les autres sur la manière de se protéger en ligne. En 2024, Pollicy et l’UWOPA ont formulé des recommandations visant à intégrer les questions relatives à la violence sexiste facilitée par la technologie (Technology-Facilitated Gender-Based Violence – TFGBV) dans le projet de loi sur les infractions sexuelles en Ouganda.

Participantes à la table ronde sur les données et les technologies féministes au DataFest Africa de Pollicy. (Crédit photo : Pollicy)

Pollicy a veillé à ce que la production de preuves soit inclusive, en consultant des experts d’organisations de défense des droits numériques des femmes pour comprendre l’impact de la violence en ligne sur les femmes politiques et dirigeantes. À la suite de son rapport de 2021, Pollicy a également mené une étude approfondie   sur le harcèlement en ligne ciblant des politiciennes lors des élections générales de 2022 au Kenya. Pollicy a organisé des discussions de groupe sur l’élaboration d’un lexique, récupéré des données sur les profils des politiciens accessibles au public et effectué une analyse qualitative des données collectées. Au final, Pollicy a créé un outil de classification des discours de haine en utilisant l’apprentissage automatique, en swahili, sheng, anglais et luganda, afin d’évaluer plus rapidement et plus efficacement les preuves d’abus et de discours de haine dans différentes langues.

L’impact

L’approche de Pollicy en matière de production de preuves étant à la fois solide et localisée, les données ont pu être utilisées pour formuler des recommandations adaptées et ciblées et travailler en étroite collaboration avec des universitaires, des scientifiques en matière de données, des organisations de la société civile, des décideurs politiques et des technologues de toute l’Afrique pour élargir les débats, les capacités et la collaboration. Ces recommandations ont aidé les différentes parties prenantes à voir le rôle qui leur incombe pour sécuriser davantage les espaces numériques – et par extension, le processus démocratique – pour les décideuses et leurs électeurs.

La voie à suivre : Des preuves inclusives pour des sociétés inclusives

Au fur et à mesure que nous nous retrouvons dans de nouvelles configurations politiques du monde, nous trouvons de l’espoir et de l’inspiration dans ce qui permet aujourd’hui de soutenir le pouvoir des gens à façonner leur propre avenir. Les données probantes jouent et continueront de jouer un rôle central pour amener les décideurs politiques et les personnes qu’ils servent à établir des partenariats plus confiants. Elles contribuent également à la mise en place d’infrastructures sociales, économiques et politiques pouvant profiter aux communautés au-delà d’un seul cycle électoral. Ceci est particulièrement important car nous reconnaissons que la gouvernance n’est pas un phénomène qui s’applique uniquement au cycle électoral. Elle est engagée et négociée chaque jour, dans sa complexité, ses défis et ses possibilités de créer des sociétés véritablement inclusives et équitables.

Rhona Mijumbi est codirectrice du Center for Rapid Evidence and Synthesis (ACRES) et Irene Mwendwa est directrice exécutive de Pollicy.

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